Remercier chaque jour

par Valfret Asperatus

«Remercier chaque jour» : Voilà une série qui va réchauffer nos coeurs vitrifiés par ce monde vide d'amour. Valfret nous plonge une fois de plus dans son délicieux cynisme à travers le chemin de conscience d'un employé de la Compagnie Républicaine de Sécurité, ceux que l'on nomme peut-être trop violemment : les CRS. Trop violemment car la série de Valfret nous invite à découvrir l'ouverture de coeur et d'esprit de ces êtres pourtant sensibles et fragiles sous leurs carapaces noires, brillantes, solides et leurs ailes de PVC. Depuis ses touts débuts, le flic et tout ce qu'il représente revient souvent piétiner l'imaginaire de Valfret dans ses productions. Le flic et plus largement toutes les formes de domination, de répression, tout ce système lacrymogène qui nous empêche de respirer le parfum de notre bonne liberté et notre bonne nature dont Valfret saisit tellement bien l'essence dans ses paysages enlevés. Un exercice dans lequel il a beaucoup expérimenté, joué avec les matières, la couleur et le noir et blanc et même créé des palettes néonesques fluorescentes étonnantes. On pourrait qualifier ses paysages de fauvistes en plus frais, plus sauvages. «Sauvage» c'est son ouvrage sorti chez Fremok en ce début d'année 2021 dont il parle lui-même très bien :

Bla-bla la vie, bla-bla la mort , bla-bla la merde, pour être plus précis, on pourrait rajouter encore : bla-bla les fleurs, les CRS, bla-bla les viscères, les montagnes, l'univers, bla-bla les autres, la vie et ainsi de suite. Tohu-bohu en plein air, orage graphique pleine page, Sauvage exhibe les mille facettes de cet animal perdu que l'on nomme l'être humain.

Valfret nous fait donc agréablement vaciller entre le rire nerveux et le sourire jaune, nous tend gentiment le miroir terne de nos existences en danger de liberté et en danger tout court et par sa justesse nous invite un peu à résister et à ne pas baisser nos cocktails molotov. Ceux de Valfret sont à base de corymbes de sureau noir fermenté afin de relaxer et soulager l'arthrite de l'assaillant, projetés au bon endroit ils sauront également apaiser la peau sèche et calmer les gerçures de nos représentants des forces de l'ordre. C'est un peu ça Valfret, une douce violence constructive.

En 2001, Valfret fuit déjà l'autorité militaire pour aller étudier l'art primitif wallon en Belgique, en 2011 il sort sa première BD chez Les Requins Marteaux, puis Ecce homo chez Alter Comics. Depuis il quitte l'univers de la BD qui l'emmerde et brouille les pistes en s'exprimant à sa guise, par des expérimentations de dessins, de techniques même si comme pour la série présentée ici, les textes liés aux images nous rappellent bien son univers d'origine. Il participe à divers collectifs, divers projets, autoédite des fanzines, sort un ouvrage au Dernier Cri. Depuis plusieurs années, Valfret anime un atelier au sein d'une institution d'accueil pour personnes handicapées et se prépare pour le grand effondrement en se cultivant lui et son jardin luxuriant et en nous offrant ses belles histoires qui vont, c'est certain, réveiller l'âme endormie de ces briseurs de grèves, de rêves et de matériel de sonorisation festive.

Cette série intitulée «Remercier chaque jour.» est réalisée à l'aquarelle, à la gouache et à l'encre de chine afin de restituer le plus justement la noirceur profonde de l'apparat policier.

All Cops Are Beatniks

Matthieu Morin